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La pierre de Yap

Par Leen Custers, Guide du musée

Ces pierres étaient des moyens de paiement sur l'ile de Yap (Micronésie). Mais comment ces objets imposants s'utilisaient-ils dans la pratique ?

Pierre de Yap

En bref

Cette imposante pierre était un moyen de paiement courant utilisé sur l’île de Yap en Micronésie. Si payer avec des pierres dont le poids pouvait atteindre 6 tonnes peut nous sembler particulièrement peu commode, cela ne pose pas de problème aux habitants de l’île. En effet, les plus grandes pierres ne sont pas destinées à être déplacées. Lors des transactions, ces pierres changent de propriétaire sans pour autant changer de place. Tout comme notre système monétaire actuel, ce système est basé sur la confiance.

Chaque pierre est unique mais toutes sont taillées de forme ronde et percées en leur centre pour en faciliter le déplacement. Le matériau utilisé est de l’aragonite, un minéral que l’on ne retrouve pas sur l'île de Yap mais sur l'île voisine de Palau (à 400 kilomètres de là). La valeur des pierres est déterminée par différentes caractéristiques dont leur taille, leur histoire et leur beauté.

Si le dollar américain est désormais la norme pour les transactions quotidiennes, les pierres pourraient encore être utilisées aujourd’hui dans le cadre de transactions cérémonielles.

Aussi bizarre que cela paraisse, la pierre qui se trouve dans le musée constitue encore de nos jours un moyen de paiement parfaitement valable sur l'île de Yap, quelque part en Micronésie, au milieu de l'océan Pacifique. Les touristes qui visitent l'île s'étonnent toujours de voir les insulaires laisser traîner leur "argent" dans la rue. Surtout qu'il ne s'agit pas de petite monnaie ! Les plus grands exemplaires ont un diamètre de 4 mètres et peuvent peser jusqu’à 6 tonnes. Mais quelle est l'origine de cette monnaie si particulière ?

Il y a plusieurs siècles, les habitants de Yap se rendirent sur l'île voisine de Palau, à... 400 kilomètres de là, où ils firent la découverte d'une roche tout à fait particulière : l'aragonite. Pierre inconnue sur l'île de Yap, ils se mirent à en extraire de grandes quantités des grottes de Palau. Ils les taillèrent en forme de disques percés en leur centre pour y introduire un bâton, ce qui leur permettait de les manœuvrer selon le principe de la roue. Il fallut ensuite les ramener sur l’île de Yap à l’aide de radeaux en bambous tirés par un canoé. Au fil du temps, les habitants de Yap en firent un moyen de paiement et ces pierres reçurent le nom de rai.

Le voyage en bateau entre Palau et Yap était autrefois semé d'embûches. Beaucoup y ont laissé leur vie ou en sont revenus diminués. Compte tenu des risques encourus et vu le nombre de victimes, la valeur de ces pierres ne fit que s'accroître. En raison du danger que constituait le voyage en bateau et de la rareté du matériau (l'aragonite), ces pierres étaient devenues un bien d'une grande valeur aux yeux des habitants de Yap.

Pierre de Yap
La pierre de Yap conservée au musée de la BNB © Musée de la Banque nationale de Belgique
Pierres de yap dans un bateau
Transport de pierres de Yap © Musée de la Banque nationale de Belgique

Mais, comment pouvait-on déterminer concrètement la valeur d'une pierre ?

Outre la beauté spécifique de la roche (on retrouve de l'aragonite dans la composition des perles) et l'histoire qui se rapporte à la pierre même (son âge, le nombre de victimes qu'ont entraînés son extraction et son transport), sa taille entre également en ligne de compte pour en déterminer la valeur, de même que le statut social des parties soumises à la transaction. Ainsi, les pierres qui étaient passées entre les mains d’un chef avaient davantage de valeur que celles que possédaient le commun des mortels.

A partir de 1931, plus aucune pierre ne fut taillée. En raison de leur encombrement et de leur poids, elles ont été peu à peu remplacées, dès le début du XXesiècle, par des dollars américains, tout au moins pour les transactions quotidiennes de faible valeur. Cependant, des achats importants (une maison, un terrain), se font aujourd'hui encore occasionnellement avec des pierres d'aragonite. En outre, elles servent au règlement d'indemnisations.

Tout aussi remarquable est la manière dont les transactions se faisaient sur Yap dans le passé (et aujourd'hui encore pour les gros achats). En effet, les pierres qui changeaient de propriétaire ne bougeaient généralement pas de place ! Elles restaient simplement à l'emplacement où elles avaient été déposées à l’origine : le long d'une route, devant une maison ou un quelconque autre édifice

Le vol d'une rai est chose rare car les insulaires ont pour habitude d'exercer un contrôle social mutuel. La plupart des habitants de Yap connaissent les détenteurs des pierres et ont un grand respect pour la propriété d'autrui. D'ailleurs, comment voler incognito une pierre de 6 tonnes ?

Pierre de Yap dans un village
Une pierre de Yap dans un village © Musée de la Banque nationale de Belgique

Bibliographie

  • CORA Lee C., "Stone Money of Yap: A Numismatic Survey." in Smithsonian Studies in History and Technology, pp. 1–75, 1975.
  • LAUTZ, T., Steinreich in der Südsee. Traditionelle Zahlungsmittel in Mikronesien, Cologne, 1999.
  • Lautz, T., “The world’s most curious money? Huge stone discs used on the Micronesian island of Yap : a summary of field studies” in Money and Identity. Lectures about History, Design and Museology of Money [Proceedings of the 11th Meeting of the International Committee of Money and Banking Museums (ICOMON), Seoul, 2004], Hannover, Reiner Cunz, 2007, pp.105-127.